Souvent je culpabilise … de tout de rien.
De prendre du temps pour moi, de dépenser de l’argent pour un moment ou quelque chose dont je suis la seule à profiter, de ne rien faire alors qu’il y a toujours tant à faire dans cette vie.
Particulièrement lorsque je ne fais rien d’ailleurs.
Notez que ne rien faire pour moi comporte également des activités comme lire, peindre, écrire parfois.
Bref tout moment où je ne suis centrée que sur moi et mon bien-être probablement.
Une voix vient alors ruminer dans ma tête et commence un bal incessant de petites phrases assassines.
« Pourquoi tu es là ? Pourquoi tu n’utilises pas ce temps pour être productive, pour travailler, pour appeler une amie, un membre de ta famille, pour cuisiner, ranger la maison … Hein, pourquoi es-tu aussi égoïste de ne rien faire de ces heures qui s’égrènent ? »
Pourtant souvent, je fais quelque chose pendant que je ne fais rien et ceci je viens juste de m’en rendre compte.
Voici le moment où j’ai pris conscience que ma productivité n’est pas toujours égale à un travail quantifiable en temps ou qualité, derrière un bureau, exécuté dans la douleur, dans la force et dans l’épuisement.
Alors que j’avais un gros projet professionnel à rendre et que rester à la maison avec les enfants et le mari en télétravail, les tâches du quotidien et cette pression que je me mettais pour ce challenge pro me devenaient insoutenable, j’ai décidé de m’exiler, m’isoler quelques jours, oh pas longtemps 3 petites journées.
72 h d’une solitude choisie salvatrice qui devaient me permettre d’aller au bout de mon travail sans être interrompue par le monde extérieur.
Un luxe inestimable après ces semaines de confinement où moi la solitaire j’ai dû apprendre à travailler avec une maison pleine de vivacité, bruits ambiants et horaires familiaux encore plus contraignants que d’habitude.
Bref pour allier l’utile à l’agréable, je choisis de partir à côté de Biarritz. Un appartement vue mer et golf avec les vagues et la nature pour seule compagnie.
Le premier matin, j’avais mis mon réveil pour 8h30 en planifiant cette heure volontairement pas trop matinale pour me reposer puis pour démarrer rapidement (sachant que je me douche le soir et que je n’avais rien à préparer, que j’étais sur place je pouvais donc être opérationnelle dès 9h) sur une matinée de travail jusqu’à 12h30, une pause déjeuner et marche le long du littoral jusqu’à 14h30 et un retour sur l’appart pour travailler à nouveau jusqu’à 19h-20h avant de manger sur place et en me baladant à nouveau si j’en trouvais le courage et l’énergie.
Un emploi du temps optimal pour 9-10h de travail efficace avec des moments de détente à marcher sur la promenade des plages et des jus pressés en terrasse.
Des conditions idéales pour me déculpabiliser tout en acceptant et m’autorisant à me ressourcer selon un timing que je m’imposais entre des heures de productivité intenses.
Mais après une bonne nuit de sommeil, le bruit d’une moto m’a réveillée à … 6h30 !
J’ai bien essayé de me rendormir pendant 1/4 d’heure mais force est de constater que finalement je n’étais pas plus fatiguée que cela.
Adieu grasse mat’ ! Mon thé bu en prenant mon temps et habillée en faisant traîner les minutes, il n’était que 7h10.
Et il était hors de question que je me mette à travailler avec presque 2 heures d’avance sur mon planning !
J’ai donc enfilé mes baskets et mon sac à dos et je me suis dit que j’avais largement le temps d’aller marcher au bord de la plage et m’offrir un petit dèj copieux sur le retour tout en respectant mes horaires.
Je vous rappelle que cette histoire d’horaires c’est moi qui l’ai décidé : personne ne m’a dit que je devais pointer à la minute près pour ce travail que, certes je dois rendre à une date précise et qui demande beaucoup de rigueur et de temps, mais c’est moi qui ai placé le curseur sur 9-10h par jour avec des plages horaires bien spécifiques sur mes temps de pause et ceux où je suis censée être super productive. Je voulais dicter à mon cerveau les moments où il devait être au repos et ceux où il devait me fournir une grosse dose de créativité et de sérieux.
J’ai donc commencé à marcher et que s’est-il passé ? J’ai commencé à culpabiliser !
De quoi ? Eh bien de ne pas être en train de travailler et de marcher au soleil levant sur le bord de la plage alors que du boulot m’attendait.
Une autre toute petite voix me disait : « Mais tu n’es pas censée travailler, tu étais censée dormir à cette heure-là, donc tu ne prends pas sur ton temps de travail en te baladant. »
Cette voix-là c’est celle du lâcher prise mais j’ai pour habitude de la faire taire et de rarement l’écouter, voire jamais.
Et la culpabilité continuait : »Oui mais si tu étais vraiment très consciencieuse tu aurais commencé par bosser plutôt que te promener avec cette vue magnifique sur les vagues du pays basque ».
Ma petite voix toute douce et discrète tentait quand même des percées : « Mais enfin ! Sois sympa avec toi, tu es bien là, profites de cette activité qui te fait du bien pour faire le plein d’énergie et d’air frais. Au lieu de penser à ce que tu n’es pas en train de faire, penses à ce que tu fais, et savoure. L’instant présent, bordel ! Avec tous les bouquins de développement personnel tu devrais quand même savoir que la pleine conscience c’est comme la méditation, ça te rebooste ! »
Et ça continuait comme ça à chaque déroulé de mes pas, pendant 10 puis 20 min, pendant 30 min puis … le paysage et le rythme de la marche ont eu raison des voix dans ma tête et comme mon cerveau était plein de ce travail que j’allais devoir fournir, il a commencé à s’en vider pendant 10-15 min pour mieux s’y concentrer.
Les choses qui étaient brouillons ont commencé à s’organiser au fur et à mesure que j’avançais sur la promenade, les idées bancales se sont alignées pour trouver leur place et petit à petit j’ai même eu besoin de sortir un carnet de ma poche pour y noter ce qui venait au gré du vent, des embruns et de la lumière du matin qui se reflétait près de la Chambre d’Amour.
La voix culpabilisante n’en avait pas fini avec moi et elle revenait : « Bon ça y est t’as fini ta balade ? t’as vu l’heure ? Si tu veux être rentrée pour respecter ton horaire il faudrait que tu sois déjà sur le chemin retour sinon tu vas être en retard. »
Je ne pouvais pas m’empêcher de regarder mon téléphone pour vérifier l’heure. Comme si quelqu’un m’attendait, comme si un train allait partir sans moi, comme si c’était impératif que je sois devant mon ordi à 9h tapantes !
Personne ne me demandait cela. Personne n’allait m’en vouloir de ne pas être à l’heure. Personne ne vérifierait.
Personne ne supervisait mon temps de travail et que je fasse le job en 6h intenses ou en 3 heures facilement ne devaient pas changer la qualité de ce que je ferais car si je suis opérationnelle et efficace sur une période courte, mais une vraie quiche qui fait semblant de bosser pendant une semaine, c’est mon problème après tout.
Je suis free-lance. Dans ce mot il y a « free » : libre. Cette liberté d’organisation c’est justement ce qui fait que j’aime mon job et que j’ai créé mon entreprise car je veux pouvoir mettre mon énergie dans un projet sans compter mes heures si besoin, et pouvoir rédiger mon prochain manuscrit toutes les fins d’après-midi si mes missions sont moins nombreuses.
Pourtant il semble qu’il faille que je me prouve sans arrêt que je dois travailler + et que je n’ai pas droit au repos, peu aux congés, et encore moins à des vacances en totale déconnexion.
Alors même si mes clients rythment mon emploi du temps et mon organisation, je suis mon propre patron, sans horaires de bureau ou de boutiques officiels. Sans jour d’ouverture et de fermeture officiels. Je peux décider cette semaine que mon week-end tombe mardi mercredi, que mon amplitude de travail est 12h-20h, ou 8h-15h, que je travaillerais samedi dimanche pendant plusieurs mois, puis que 4 jours par semaine pendant quelques temps …
Mais la voix ne me quittait pas. Alors même que je souriais devant la plage déserte, heureuse d’être là privilégiée réveillée tôt par une moto un matin de fin juin.
Alors j’ai décidé de l’envoyer se faire voir. Je lui ai dit de me lâcher la grappe !
Je me rebellais, j’allais avoir 30 min de retard sur mon timing, et puis quoi ? J’étais bien. Et c’était important aussi d’être bien pour être en forme ensuite pour travailler dur, c’était important de m’aérer la tête avant de la faire chauffer à plein régime pour en extraire le meilleur de mon savoir et de mes idées.
Alors merde, j’allais continuer à marcher encore un peu. Donc autant te taire Sale Voix de la Culpabilité, parce que je marcherais autant que je le voudrais.
Et à mesure que je lâchais prise sur ma montre et ma culpabilité, j’ai repris le flow : l’état de détente et l’arrivée de pensées douces qui se chevauchent et donne vie à tout un tas de déblocage sur les sujets qui posaient problème. Et les idées sont venues, et le carnet s’est noirci de plusieurs lignes, de points à développer, de cadenas déverrouillés, de noeuds dénoués.
Je me suis assise pour m’offrir ce petit déjeuner avec l’océan devant moi. J’avais faim, j’étais en pleine forme, pleine d’énergie, riche d’idées et le cerveau en bouillonnance positive de mille envies et suggestions pour ma mission pro.
Alors que je savourais mon pancake au sirop d’érable j’ai regardé l’heure et bien sur, la culpabilité a tenté de s’immiscer à nouveau : « Non mais franchement ! Tu devrais déjà bosser depuis 1 h ! »
Je l’écoutais en fronçant des yeux, faisant apparaître ma ride du lion, essayant de mâcher plus vite pour rentrer pas trop tard quand même, quitte à me brûler avec mon chai latte, pourtant délicieux bu en petites gorgées sucrées, pour ne pas rater l’heure du TRAVAIL, quand soudain j’ai feuilleté mon carnet que j’allais rangé pour me hâter : il y avait déjà 2 pages recto-verso remplies avec des choses primordiales et fondatrices pour mon projet. Un plan, des sous-chapitres, et des exemples pertinents qui m’étaient venus en marchant.
Et c’était évident : j’étais DEJA en train de travailler ! Mais oui bordel ! Cela faisait 2h30 que je débloquais les plus gros de mes points fondamentaux ! Cela faisait presque 10 000 pas que je me faisais du bien tout en laissant mon cerveau vagabonder et faire sa tempête active : le vrai brainstorming venait d’avoir lieu et j’avais essayé de le chasser avec autant voire + d’énergie qu’il m’en aurait fallu pour le faire venir !
J’aurais peut-être passé une matinée entière devant l’ordi à produire quelque chose de médiocre dans la douleur, en me forçant, en cherchant sans trouver, en naviguant mal, en faisant fausse piste, en n’allant pas vers les choses que j’aurais vraiment voulu dire ou pointer, en passant à côté des points précis qui m’apparaissaient tellement évident en foulant le sable avec mes tennis !
En marchant simplement le long de la plage, sans rien faire, j’étais plus productive que si j’avais été enfermée et coincée derrière mon bureau à taper des phrases banales.
En me baladant, en me lâchant la grappe, en respirant à plein poumon l’air iodé, en goûtant le sel déposé par le vent sur mes lèvres, en laissant le soleil réchauffer ma peau : je TRAVAILLAIS mieux que je ne l’aurais fait avec cet énervement et cette pression que je me mettais et qui m’étouffaient depuis plusieurs jours.
J’ai alors revu mon planning : pendant ces 3 jours, j’ai travaillé intensément mais j’ai travaillé aussi sur des TIPs.
Les TIPs sont mes nouveaux alliés, mes Temps d’Inactivité Productifs. Ces moments où je marche au bord de la plage, où je bouquine sur une terrasse, où je dessine au jardin, où je bois un thé en le savourant en regardant le paysage ou les bâtiments qui m’entourent.
Donc désormais le plus difficile pour moi va être de mettre en place ces TIPs pour me permettre comme me le soulignait une followeuse sur Instagram, de m’offrir des pourboires (TIPS en anglais veut dire pourboires) afin d’alimenter ma cagnotte créative !
J’ai trouvé que le jeu de mots que j’avais créé malgré moi avait une forte relation à l’argent et donc à la valeur que je donne à mon temps et à mon travail : la magie de l’inconscient, ou l’intellectualisation de l’instinct, appelez ça comme vous voulez, mais tout ça se tient et se répond parfaitement.
Je ne dis pas qu’il faut passer son temps à se promener et que votre entreprise en sera florissante, ni que les randonneurs sont les plus intelligents et prolifiques travailleurs de la terre. Non je dis juste qu’il faut savoir lâcher prise aux injonctions que l’on s’impose à soi-même, qu’il faut savoir écouter notre corps qui réclame de l’air et lui offrir un peu de rêverie pour mieux qu’il nous donne la productivité qu’on lui réclame.
Je dis que désormais quand l’envie de voir l’océan sera presque vitale, que le besoin d’errer sans but en foulant le pavé ou les pontons de bois sera plus fort qu’un emploi du temps figé et oppressant, alors je lâcherai prise et j’irai marcher pendant des heures sans me soucier de cette voix ignoble qui me met tant de pression, car je sais qu’à chaque pas je libérerais un peu plus ma créativité et ne rien faire sera bien plus productif que m’obliger à produire comme une machine sans respirer.
Cette expérience et prise de conscience a également été le fruit de la lecture d’un ouvrage pratique et passionnant sur le Slow Working pour travailler moins mais mieux.
A vous offrir si vous cherchez à remettre du sens, de l’organisation et des priorités à votre vie professionnelle.
Et vous, vous connaissez le lâcher-prise au travail ? Le slow-working ?