Belle journée d’été …le tramway désert , pour une fois qu’il n’est pas en panne… le soleil qui tape fort derrière la vitre , quelle idée d’aller bosser, j’aurais du rester sous mon ventilateur…et mon gros ventre qui me tient chaud …
Dès le matin tu me donnes des petits coups de pied …je m’y suis habituée, je suis enceinte de 7 mois et demi ….je me sens mi-femme, mi-baleine …
Me voilà arrivée à cette bonne vieille agence du cours chapeau rouge … personne ce matin … un 10 août ça sent les congés …
Juste une pauvre petite auxiliaire de vacances qui stresse derrière son guichet « il ne faut pas que je confonde les billets de 100 euros et de 500 euros !! », ma best collègue qui passe son entretien de mutation « où que je vais atterrir moi dans cette ville de fous !!! », notre Sergent en chef P. qui râle de bon matin « et voilà ! le GAB va encore tomber en rade et bien sûr, personne pour nous épauler à 8h du mat’ »…et moi avec ma p’tite bulle qui continue de me donner des coups de pieds « tu vas arrêter de taper : tu me fais remonter mon petit déjeuner !! »…
Bientôt la quille ! le congé maternité !!!
Je me traine mes 9 kgs de plus sans trop broncher. ..C’est que derrière mon guichet mon ventre ne passe presque plus … mais ma chaise à roulettes est confortable …
Tiens voilà ma collègue !!! alors cet entretien ?? raconte raconte ?? me revoilà à faire la commère …avachie dans mon siège …ma main sur mon bidon …
Tout à coup je vois un visage difforme et une silhouette sombre face à moi collée à elle …
Que se passe t-il dans ma tête à cette fraction de seconde ? Je ne sais même pas …Je crois d’abord à une personne maquillée, déguisée, puis peut être même brûlée …Puis je réalise que c’est un bas qui est sur sa tête …l’arme qu’il sort me confirme la suite : c’est un hold up , un braquage … ça n’est pas possible !! cela n’est vrai que dans les films …
Mon regard perplexe croise ma collègue …ses yeux et les miens tissent un faisseau invisible où un éclair nous connècte …oui elle a compris et moi aussi …quelqu’un vient de mettre en suspens nos vies ..quelqu’un vient d’arrêter le temps et de lancer le chronomètre du silence …
Ma main caresse mon ventre machinalement ..Mon bébé, toi tu es dans ta bulle ..mais j’ai tellement peur pour toi …
Et mon cœur qui bat tellement vite …je ne m’entends même plus penser …je n’entends que les pulsations et je cherche tes petits pieds …pour te rassurer, pour me rassurer … J’entends mon sang couler : je suis à l’intérieur de moi-même …
Moi qui ne peut même pas te protéger … moi qui suis impuissante et qui ne peut pas jouer mon rôle de maman …je ne peux que te garder au chaud et respirer bien calmement pour que tu ne ressentes rien … On m’avait dit qu’être maman c’est protéger son enfant, faire qu’il se sente en sécurité .. Oui mais voilà, là, je réalise que jamais on ne peut protéger son enfant du monde extérieur .. que jamais je ne pourrais être à la hauteur face à cette violence …
Je cherche ma collègue des yeux … je lis sur ses lèvres « ça va ? » …oui je la vois, elle me ramène à la réalité sinon j’aurais l’impression d’être dans un cauchemar ou un mauvais film …
IL a posé son index sur sa bouche et nous a dit « chut » …en nous faisant signe de nous taire c’est comme s’il avait mis ses 2 mains autour de mon cou et qu’il serrait très fort …je me sens étouffer …je voudrais pouvoir crier, courir, partir …je me sens ligottée, baillonée …
Et derrière nous, nous entendons P. le boss qui ne se doute de rien …Il continue sa monologue solitaire et ne s’aperçoit de rien. ah sacré P., je le reconnais bien là qui râle après l’alarme à incendie … « mais putain , tu n’entends pas ce silence ? Il n’y a plus ma voix criarde et aigue qui glousse avec l’accent du sud, pas de blagues? tu ne vois donc pas qu’il n’y a plus de rire, plus de papotages, plus de vie …l’agence est morte …tu ne sens pas cette peur palpable dans l’atmosphère ? cette odeur d’angoisse ? ces gorges qui se déssèchent et qui ravalent dans des respirations inaudibles ? ..je voudrais te crier de partir …au fond de moi j’hurle mais tu n’entends pas … j’hurle « tais toi, casse toi, préviens les pompiers, le SAMU, le GIGN, sarkosy, la terre entière …mais … ».
Puis je m’entends dire dans ma tête « dis leur qu’on les aime … » parce que, j’ai pendant quelques secondes, penser à eux, cru que je ne les reverrai plus … ma famille, mes amis …
Trop tard, un 2e homme le met à terre et lui fait comprendre ce que nous vivons depuis quelques secondes, quelques minutes, une éternité …
ILS ont vu mon gros ventre ..que se passe t-il dans leur tête ?
peut etre l’un d’entre eux à une femme ? des enfants ? que peuvent ils penser ? que feraient ils si j’accouchais maintenant ? et moi que ferais je ?
Et cette arme toujours pointé vers nous … j’ai senti le canon sur ma tempe, ce froid glacial comme un stéthoscope qui n’entendrait aucun battement cardiaque, vers moi, vers toi …mon bébé …
Moi je ne sais pas ce que c’est qu’être maman ..comment le serais je ? tu n’es pour l’instant qu’un coup de pied quotidien, qu’une photo d’échographie… je me sens enceinte certes ..mais maman ..mère …ça je n’en sais rien …
L’argent en poche, l’arme rangée …ils partent …
Comme ils sont rentrés … sans fracas, sans bruit …sans qu’on les remarque …
Ils sont partis …et pourtant je ne peux toujours pas parler …ma gorge est trop serrée …
Quelqu’un crie « ils sont partis » …le temps se remet en marche, je reprends de l’oxygène , en 3 mots …Je réalise enfin …
Et toi mon bébé ! tu me donnes à nouveau un petit coup ..moi qui te trouvais trop calme et qui m’inquiétais tant pour toi ..oui tu es là ! oui tu vas bien …
Je sais que tu es là …pour la première fois je me sens maman …je me sens rempli de toi, de ta présence …je me sens 2 …je n’étais pas seule …tu étais là …
Ma première pensée lucide va à ton père …jamais là quand on a besoin de lui celui là !!
Ses bras me manquent ..je voudrais qu’il soit là à l’instant pour me réconforter …que son épaule soit près de moi pour que je puisse m’y reposer …
S’en suivra la descente bruyante de l’état major qui nous étouffera à son tour mais de questions …l’envie de vomir est omniprésente …
Mais il y a 2 choses qui resteront gravés jusqu’à ma mort : cette arme que je reconnaitrais encore aujourd’hui entre 1000 et ma main caressant mon gros ventre.
Et quand je te vois aujourd’hui ma puce, mon ange ..je me dis que ce n’était pas notre heure ni notre jour … mais que c’est désormais tous les jours le plus beau jour de ma vie car je suis maman, il ne peut plus rien m’arriver.
que dire ? une situation qui aurait pu être dramatique et je comprends bien que l’actualité puisse te rappeler ce terrible souvenir, que tu relates avec tellement de sincérité et d’émotion. Mais comme tu le dis, ce n’était pas ton heure, alors continue de profiter de la vie comme tu le fais et comme tu nous l’exprimes dans tes articles !
J’aimeJ’aime